L'invention de la ville du futur
Publié le 31 octobre 2024
écrit par
Thomas Arciszewski et illustré par Studio Plastac
Métro, boulot, dodo. Et si la ville de demain ne ressemblait plus à ça ? Aujourd'hui sort l'ouvrage Villes 2050. Dix actions d'architectures climatiques pour un futur désirable de l'architecte Vincent Callebot et du journaliste Arnaud Pagès, aux éditions Eyrolles. Pour eux, il s'agit de : « Mieux vivre en s'adaptant au réchauffement climatique, nettoyer les océans de leurs déchets, permettre à tous de se déplacer sans polluer, garantir un logement durable pour tous et venir en aide aux réfugiés climatiques et réfugiés de guerre... Une utopie ou plutôt un besoin humain vital ? ». Une réflexion sur les villes du futur qui vient rappeler celle de Thomas Arciszewski et Cynthia Bagousse, chercheurs en psychologie et fondateurs du collectif Esprit Futur.
La ville illimitée
Les villes, de plus en plus grandes, titanesques, considérées comme des métapolis par Ascher en 1995, s’étirent verticalement, hérissées d’immeubles toujours plus hauts, tandis que les villes moyennes s’étalent horizontalement, sans fin. Au milieu de ces étirements et étalements, de la redondance ou du vide, pouvons-nous encore imaginer de vivre dans une ville plus que d’y habiter ? La science-fiction suppose, expose la destruction des lieux de vie de villes, mais aussi propose l’espoir de nouvelles urbanités. Regardons ce qu’elle a à nous dire.
Rupture de classe et futur de classe
La ville de Metropolis, ses ouvriers, son dictateur, son culte, l’espace clos fantasmatique de La Maison aux milles étages de Weiss, Les Monades Urbaines de Silverberg, ou encore l’immeuble de grande hauteur (I.G.H.) de Ballard et le Manhattan volant de James Blisch (Cities in Flight, 1970) exposent la séparation sociale comme lieu de la dystopie. Le cyberpunk tel que présenté dans le film Blade Runner, le jeu vidéo Cyberpunk 2077 ou la série Altered Carbon (2018) imaginent des villes verticales, hyperconnectées, dans lesquelles la hauteur est synonyme de pouvoir et les liens sociaux sont des câbles.
La première rupture est alors celle des extrêmes sociaux : le peuple dans la fange bétonneuse et électrique d’une part, les privilégiés réfugiés dans leur nid d’aigle aux sommets des tours ou de mégastructures orbitales d’autre part. À l’instar du film Elysium (Neill Blomkamp, 2013), certains annoncent, selon Abbott, qu’« à l'avenir, la société d'abondance pourra survivre dans le confort avec l'aide de forces de sécurité privées qui protègent les centres-villes et les enclaves fermées ». Si l’imaginaire est largement focalisé sur les possibles technologiques et cyber, il est impossible, nous dit Abbott, de ne pas aussi penser aux inégalités et à la division. La réalité rejoint la fiction lorsque naissent, aujourd’hui, des zones urbaines closes, aux États-Unis comme dans d’autres pays, et que certains évoquent déjà l’utopie de ces villes privées (Glasze et al., 2004).
L’avènement de la bulle
Après la rupture de classe, celle du lieu de vie. Vivre demain, ce sera peut-être vivre enfermé dans des paradis individuels. Prendre part à la société deviendra un peu plus illusoire chaque jour, alors que se développe, par la magie de la technologie, la dissociation entre le lieu de travail et le travail lui-même. Sleep Dealer d’Alex Rivera (2008) montre ainsi des ouvriers mexicains travaillant sur des chantiers aux États-Unis en pilotant à distance des engins, tandis qu’Avatar (2009) de James Cameron imagine le pilotage à distance de corps biologiques. Ces villes imaginées pour demain prennent parfois la forme de villes banlieues sans fin, évoquées par Pohl et Kornbluth dans L’ère des gladiateurs : « Une maison-bulle était le signe de la réussite », ou celle de villes périphériques, à l’image du Banlieusard de Philip K. Dick (1953). La possibilité qui en découle, dystopique pour les uns, utopique pour d’autres, est l’avènement de lieu de vie meta-pavillonnaire. Elle est portée par la volonté de produire sa propre nourriture et le DIY du cyberpunk, tendances qui pourraient bien dessiner les contours d’un avenir dys-utopique, une déviation individualiste de l’utopie autonomiste face à notre besoin d’être ensemble et de construire un avenir. Preuve en est, l’atelier d’écriture mené par Cynthia Bagousse dans le cadre de sa thèse en design fiction. Il encourageait des participants à imaginer le futur dans un appartement dont il n’est pas nécessaire de sortir pour vivre (LifeCondo). Ces derniers y voyaient une fausse publicité pour un espace de vie futur duquel il n’était plus nécessaire de sortir, ni pour avoir de la nourriture, ni pour travailler, et pas plus pour faire des rencontres, le tout étant géré par un ensemble de dispositifs technologiques. Sans surprise, le futur décrit par les participants à partir de cette publicité était plutôt dystopique, un futur de solitude et même de mort, avec pourtant une étrange lueur utopique qui laissait entendre une petite voix intérieure, une petite bulle à soi, synonyme d’un « et pourquoi pas ».
Fictions urbaines participatives
La science-fiction peut aussi proposer et servir un récit commun grâce à un outil : le design fiction participatif. Par l’anticipation citoyenne de villes futures, il permet le récit de la communauté, propre à raconter une histoire qui permet à chacun de s’engager. Ces récits utopiques forment le tissu de l’action collective en donnant un but à atteindre et des espoirs à réaliser. Imaginer des espaces urbains différents, faire de la ville un espace piratable, se reposer sur des processus communautaires spéculatifs sont autant d’éléments qui redonnent du sens aux lieux et aux liens et qui prolongent les réflexions qui ont depuis longtemps émergé autour du tissu associatif ou des tiers-lieux.
Le design-fiction participatif est une forme de pouvoir conjectural sur la ville, l’utilisation raisonnée d’un environnement science-fictionnel pour immerger les citoyens dans des propositions d’avenir, pour y mener une réflexion sur l’avenir, et pour participer aux changements. La science-fiction se glisse au cœur de la critique et du bouleversement urbain dans laquelle se rencontrent l’écologie, le social, le culturel, le politique, le travail comme les loisirs.